Faut-il traiter les fractures à trois fragments de la tête humérale par prothèse après 60 ans ?



C. COHN / Institut A. TZANCK / 06700 Saint Laurent du Var
7/07/98


 
Avant-propos


Ce bref article n'a pas pour but de démontrer que mon opinion est la meilleure et qu'il n'y a qu'une seule vérité en chirurgie. Il n'est pas non plus étoffé de statistiques (qui sont d'ailleurs en cours de réalisation).
Il se veut simplement une réflexion préliminaire sur l'expérience que j'ai progressivementr acquise dans une pathologie particulière et le fruit d'observations que j'ai pu faire en quelques années sur un nombre de cas suffisament importants ( plus de 50 ). Ces réflexions feront prochainement l'objet d'une étude scientifique rigoureuse.
 
Notions générales


Les fractures de la tête humérale ont été bien classifiées et s'il est aujourd'hui admis communément que les fractures à 4 fragments sont justiciables d'une prothèse d'épaule, le cas des fractures à trois fragments est beaucoup moins tranché, en particulier chez des patients de 60 ans et plus, la nécéssité d'un essai d'ostéosynthèse étant recommandé avant cet âge.
Diverses tendances se font jour, allant de l'ostéosynthèse à foyer ouvert , en passant par l'embrochage percutané, l'abstention thérapeutique (!), ou la prothèse.
Je commence à avoir une expérience suffisante de la prothèse d'épaule pour éviter les fautes techniques classiques ( raccourcissement, allongement, défaut de rétroversion, défaut de reposition des tubérosités, lésion du nerf circonflexe antérieur) et la mise en place des implants se fait de manière réglée et reproductible.
La plupart de mes patients sont adressés au Centre-Hélio-Marin de Vallauris qui assure la rééducation du plus grand nombre d'épaules opérées dans le département. Ces patients suivent un protocole de rééducation standardisé .
J'ai pu suivre l'évolution des prothèses posées depuis 1992 et j'ai reconvoqué la plupart des patients à fin d'examen comparatif.
J'en ai tiré les observations et les conclusions suivantes :
Observation 1 : Le résultat fonctionnel peut s'améliorer pendant 1 an en post-opératoire, qu'il s'agisse d'une prothèse ou d'une ostéosynthèse, il se stabilise ensuite.
Je n'ai eu à présent à déplorer qu'un seul cas de dégradation secondaire pour un recul maximum de six ans, celui ci étant dû à une rupture de coiffe.
Conclusion 1 : On peut affirmer sans trop de risques que le recul nécéssaire à l'estimation du résultat fonctionnel à moyen terme est suffisant à un an.
Observation 2 : Le résultats fonctionnel des fractures à 3 fragments prothésées est nettement supérieur au résultat des fractures à 4 fragments prothésées et meilleur que le résultat des fractures à 3 fragments ostéosynthésées à ciel ouvert ( voir plus loin pour le détail).
J'entends par récupération fonctionnelle, la récupération de la mobilité active en antépulsion, rotation interne et externe, la douleur, la force, et l'utilisation subjective du membre lésé dans la vie courante.
En détaillant les trois interventions précédemment citées, le résultat sur la mobilité active ainsi que la récupération de la force sont fréquemment mauvais dans les fracture à 4 fragments , il est limité en rotation interne et antépulsion dans les ostéosynthèses. La douleur est plus fréquente dans les ostéosynthèses, il est bon ou excellent dans les fractures à trois fragments prothésées.
Question : Pourquoi une telle différence sur le plan de la récupération active entre les fractures à 3 et à 4 fragments, malgré des radiographies post-opératoires superposables ?
Je pense qu'une des raisons majeures est liée à l'intensité du traumatisme initial. Le mécanisme et l'intensité de ce dernier sont différents dans le cas des fractures à trois et à quatre fragments. Je soupçonne en fait une lésion du circonflexe antérieur dans le deuxième cas, avec un traumatisme direct important des fibres antérieures du deltoïde, chose qui malheuseusement ne peut être confirmée de manière prospective ( puisqu'un EMG pratiqué à quelques jours ou heures du traumatisme ne pourra donner de résultat exploitable ).
Néanmoins, j'ai pu constater que de manière quasi-systématique, on retrouvait une importante amyotrophie du deltoïde antérieur dans les fractures à 4 fragments et que celle-ci était beaucoup moins fréquente dans les fractures à trois fragments.
Radiologiquement également ( et opératoirement) la comminution est souvent très importante dans les fractures à 4 fragments, alors que la lésion la plus souvent retrouvée dans les fractures à 3 fragments est une basule en valgus de la surface articulaire associée à un arrachement du trochiter.

A l'interrogatoire, la notion de traumatisme latéral en impaction est commun pour les fractures à trois fragments, il semble à l'opposé que celui-ci soit beaucoup plus violent et moins systématisé dans les fractures à 4 fragments.
Conclusion 2: L'intensité du traumatisme initial est un facteur important pour la récupération fonctionnelle
 
Observation 3 : L'âge ne modifie pas de manière significative le résultat, mais le niveau d'activité en pré-opératoire est un facteur déterminant.
J'ai pu observer que plus un patient était sédentaire, moins bon était le résultat, quelle que soit la lésion initiale ou le traitement. Ceci est un facteur à prendre en compte lorsque l'on pose l'indication chirurgicale initiale.
 
Cas des fractures à 3 fragments en valgus.

1) Ostéosynthèse

Le but de l'ostéosynthèse est de réduire la surface articulaire , de la fixer en bonne position et de repositionner et fixer la grosse tubérosité.
Je n'ai personnellement aucune expérience de l'ostéosynthèse à foyer fermé. Pour ma part, j'ai utilisé successivement des plaques tiers de tube recourbées à leur extrémité supérieure et "plantées" dans la tête ou des plaques malléollaires de Vives, afin d'utiliser le matériel le moins encombrant possible et éviter les sources de conflit sous acromial.
Ce type d'ostéosynthèse présente un certain nombre de contraintes et d'inconvénients.
• Elle doit permettre de placer le matériel suffisament distalement pour éviter des conflits en abduction.
• Elle doit permettre de positionner le matériel suffisament externe pour obtenir une bonne ostéosynthèse de la grosse tubérosité.
• Elle doit permettre une fixation solide de la surface articulaire.
• Il faut donc que la plaque soit externe, basse et que le montage soit rigide.
• Pour ce faire, une voie d'abord externe est exclue, du fait du risque de lésion du nerf circonflexe.
• La voie d'abord classique delto-pectorale semble satisfaisante, mais impose un décollement parfois important en avant et surtout ne permet pas toujours un bon contrôle visuel de la réduction de la tubérosité, en particulier lorsque la fracture se prolonge loin en arrière.
• De plus, on a facilement tendance à surestimer la réduction de la surface articulaire, et si le patient a un os spongieux de qualité médiocre ( ce qui est fréquemment le cas), la fixation est aléatoire ( mauvaise tenue des vis ).
• Dernier inconvénient, il est souvent nécéssaire d'ôter le matériel secondairement du fait d'une gêne sur ce dernier, même en respectant les points ci-dessus.
 
2) Prothèse

Comme je l'ai signalé précédemment, j'ai obtenu de meilleurs résultats avec la prothèse qu'avec l'ostéosynthèse, à la fois sur le plan des mobilités et celui de la douleur.
Le principal reproche que l'on puisse faire à la prothèse dans cette indication est le fait que la surface articulaire n'étant que peu lésée, on utilise une chirurgie prothétique plutôt que conservatrice et que l'avenir à long terme est encore incertain. Je pense quant à moi, qu'après 60 ans, on n'hésite plus guère à mettre en place une prothèse de hanche et que l'arthroplastie d épaule a fait ces dernières années suffisamment de progrès pour que l'on puisse envisager l'évolution à long terme avec suffisament d'optimisme.
J'ai utilisé primitivement, la prothèse Modular Shoulder ® de Neer et suis passé depuis 1995 à la Bio-Modular de chez Biomet®. Cet implant offre à mes yeux un certain nombre d'avantages, bien que son ancillaire soit perfectible ( on y travaille...).
La métaphyse large et ovalaire, ainsi que le grand nombre de tailles de tiges disponibles, permettent de se passer la plupart du temps de cimenter la prothèse par une bonne stabilité primaire.
Le concept de double cupule (équivalent à une prothèse intermédiaire de hanche, permet de diminuer de manière significative les contraintes sur la glène et de jouer si nécéssaire sur les longueurs de col .
J'utilise le plus souvent une voie d'abord antérieure trans-deltoïdienne, située dans le centimètre interne du deltoïde et remontant jusqu'au rebord claviculaire. Cette voie d'abord a l'avantage d'être courte ( environ 10 cm), peu délabrante et de passer loin du nerf circonflexe. Elle permet la plupart du temps d'avoir un bon jour sur le fût huméral et la tubérosité. Elle ne peut par contre être utilisée chez les patients présentant une importante surcharge pondérale, chez lesquels j'utilise alors une voie d'abord classique delto-pectorale.
L'ouverture articulaire se fait après repérage du long biceps, par une ostéotomie de la petite tubérosité en dehors de la gouttière et l'ouverture de la coiffe dans le prologement de cette ostéotomie. Ceci permet un montage final solide sans risque de fragilisation du sous scapulaire.
Il faut attacher un très grand soin au nettoyage des tubérosités, au repérage du bord supérieur de la grosse tubérosité ( qui sera, une fois réduite, un excellent repère de la hauteur prothétique. A cette fin, il est également judicieux de faire effectuer des clichés télémétriques pré opératoiresavec un repère radio-opaque des deux humérus comme le préconisent les concepteurs de la prothèse Aequalis®) et à la réinsertion des deux tubérosités ( entre elles et sur le fût huméral).
La rétroversion prothétique sera habituellement de l'ordre de 25°, ajustable en fonction de l'anatomie.
La double cupule permet en outre d'avoir un complément de stabilité à ce niveau du fait de son débattement intrinsèque.
La rééducation dans toutes les amplitudes est débutée en passif dès le lendemain de l'intervention, en piscine dès cicatrisation et l'actif est généralement débuté à la 3 ème semaine post opératoire.
 
 
F3Fragn.JPG
 Fracture à 3 fragments

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 1 an postop


Conclusion

Plus le temps passe, plus je pense que l'arthroplastie est une bonne indication dans le cadre des fractures à trois fragments de la tête humérale chez des patients de plus de 60 ans. La qualité des résultats à un an ne laisse bien entendu pas préjuger du résultat à long terme, mais celle ci est supérieure à celle des ostéosynthèses à foyer ouvert eet offre moins d'inconvénients et de difficultés techniques. Je la recommande donc à condition de respecter une grande rigueur dans la techinque de mise en place et d'éviter les pièges "classiques" de ce type d'arthroplastie.

Post Scriptum

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